Phaos, de Alain Bergeron
Un space opera en trois actes, bien ficelé, moins « sexy » que la page couverture ne le suggère.
Le roman prend place dans un futur pas si lointain, dans les années 2090. Le capitalisme a triomphé des pouvoirs publics, et quelques compagnies se partagent les richesses terrestres, lunaires et martiennes. Internet est obsolète, remplacé par la Nasse, un réseau d’information photonique, plus rapide, plus puissant… Plus grand que tout ce que l’humain a pu concevoir ou imaginer!
Tout commence le jour où le système d’intelligence artificielle le plus perfectionné au monde, Phaos, est saboté. Les directeurs des plus importants conglomérats paniquent, les conseils d’administration voient l’occasion de prendre la place de leurs chefs, et les révolutionnaires l’occasion de renverser le pouvoir. Ces complexes jeux de pouvoirs sont très bien racontés, emplis de suspense, d’intrigue et d’action, et les rebondissements causés par les décisions des uns et des autres donnent l’occasion au lecteur de découvrir les « merveilles » technologiques du prochain siècle.
Les personnages, nombreux, s’entrecroisent et s’entrechoquent rapidement; bien campés, très bien caractérisés en quelques traits fins: le Dieu Lion, Simon Odako, président du plus puissant conglomérat du monde, Luis Grindall, un sous-chef de la sécurité qui prend du galon malgré son intelligence moyenne, Yegor Kahim, un sbire robotomisé au service de la Compagnie, la belle Evy Jaing (celle de la page couverture), la grasse et pâle Odetta Vermüllen, le preux Nicklos Pascalis, qui seul peut décoder Phaos… Sans compter les personnages des autres compagnies, les révolutionnaires, les amis disparus… Bref, tous ces personnages existent, bien incarnés, mais ils sont si nombreux que l’identification demeure intellectuelle, plutôt qu’affective. Les motivations de chacun sont claires, les émotions aussi, mais on les perçoit de l’extérieur plutôt que de l’intérieur, à l’exception peut-être de Nicklos Pascalis, qui est le plus « ressenti », surtout à cause de son métier de Fouilleur de lumière, et parce que son passé et ses doutes sont les plus partagés. Le roman se lit comme une télésérie, plus près des nouveaux Star Wars que des anciens.
Un monde très crédible en somme, sauf peut-être dans son échelle du temps. Je doute qu’en 2086, la lune ou mars soient colonisés, même si les technologies connaissent un rythme exponentiel de développement. Outre ces dates, un univers très crédible, basé sur le pouvoir des compagnies, la maîtrise de l’information, l’accès direct et constant à la Nasse, les relations humaines médiatisées par hologrammes… Cette froideur de l’environnement humain, centré sur le besoin, la manipulation, la recherche du pouvoir, laisse un impression sombre, peu optimiste de la vie matérielle. L’esprit dépasse le corps, de loin, et aspire à l’éternité, à la Connaissance, au détriment du contact, de l’expérience du moment présent, du temps. Une ode à l’esprit rationnel, en somme, un monde qui attribue plus de valeur à l’esprit logique artificielle, à l’intelligence telle que nécessaire à fonctionner dans un monde de productivité, de soumission à l’autorité du plus riche/fort. Voilà je crois ce qui m’a empêchée de m’incarner dans els personnages: se détachement de leur « physique » ou de leur « créativité ». En cela, les personnages se ressemblent tous (témoins de leur temps!).
Phaos: une ode à l’esprit immortel, au Dieu Connaissance, au détriment des forces de Gaïa, qu’on condamne à son seul pouvoir d’entropie. Une bonne lecture pourtant, qui révèle à sa manière les excès de la société de consommation capitaliste. Mais comme le disait l’auteur Ted Chiang lors de son allocution au Boréal de 2010: l’esprit humain n’est pas si facile à dupliquer qu’on le prétend, et la métaphore de l’ordinateur pour cerner le cerveau a ses limites, que cet ordinateur (ou ce réseau) soit électronique ou photonique, ou quantique.