À la manière d’une femme–orchestre, je touche à tout : sons, images, informatique, installation. En fait, je me sers de tout ce qui est disponible pour réaliser mes projets et explorer à travers les arts médiatiques le temps, la couleur et la lumière, tout en me questionnant sur la manière dont ces phénomènes influencent notre identité. Au cœur de ma démarche se trouvent les questions philosophiques de la conscience de l’être dans le monde et de la relation humaine avec la réalité telle que perçue par les sens. En bref, je questionne l’objectivité et l’identité.
Cueillette
Observer, capter l’instant, sans bousculer l’ordre du monde; saisir le moment présent avec ses imprévus et ses accidents : tels sont les principes qui sous-tendent mon processus de création. La caméra et l’enregistreuse sonore ne sont pas des témoins objectifs, mais des filtres qui recueillent une vision intime, partiale et éphémère du monde. Ce sont des outils de fragmentation et d’analyse. Photographe, vidéaste, preneuse de son : j’accumule un matériau malléable, numérique, un vocabulaire d’images et de sons.
Dérive
Le concept de dérive, en arts visuels, est un moteur déterminant dans ma démarche créative. En effet, la dérive est porteuse de glissement, de perte et de brouillage des sens; elle cause un parcours jalonné de surprises, de découvertes, d’imprévus, mais suppose aussi une cartographie du réel qui documente et analyse la relation de l’individu avec le monde – qu’il soit urbain ou au cœur de la nature. Ainsi, la contemplation, l’écoute, la découverte du monde et la curiosité guident mes captations.
Lors de promenades délibérées, centrées sur le ici et maintenant, je capte l’instant, j’effectue une cueillette temporelle de son essentiel en terme de couleur, lumière, forme, ambiance sonore. Suivant un parcours affectif, j’effectue une incursion discrète dans le réel, afin de former une collection d’instants volés, que je soustrais à la trame du concret pour me l’approprier et les transformer.
Transformation
La manipulation informatique permet l’altération de l’image et du son par un traitement « photogramme par photogramme », « onde par onde ». Les effets numériques causent des surprises et des accidents qui exacerbent radicalement les couleurs, le rythme, bref, toutes les qualités plastiques de l’image. Elles sont une métamorphose de la réalité brute enregistrée avec la caméra. Ces transformations permettent de véritablement sculpter le temps en causant des variations en forme de ponctuations et de détournements, de ralentis ou d’accélérés et en créant des collisions et combinaisons métaphoriques d’images et de sons.
La transformation survient aussi avec les nouveaux logiciels de manipulation et transformation des données, jeu que MAX/msp rend possible. Métamorphoser les images captées en ondes sonores, transformer des données de senseurs en images animées, manipuler les données concrètes afin de leur donner une autre forme, qui révèle des liens insoupçonnés.
Ce jeu de transformation, de manipulation, ces liens forcés et brouillés entre les sens (orientation, vue, ouïe), permet de créer des rapports poétiques entre les divers éléments captées lors de mes cueillettes, afin d’en faire ressortir un sens différent, nouveau. L’inédit et la nouveauté proviennent en partie de collisions surprenantes causées par la transformation numérique du matériau analogique, et la recherche esthétique de ce que ces transformations peuvent former.
Organisation
La composition véritable se produit à partir de la trame de ce qui a été numérisé. Le matériel est organisé en ensembles sensibles, ordonnés par des liens tantôt esthétiques, tantôt thématiques. Les séquences sonores et visuelles sont composées en tableaux, dans un découpage du matériel en séquences courtes, impressionnistes et métaphoriques. Le vocabulaire ainsi ordonné devient poésie.
Le montage non narratif qui caractérise mon travail demande une gymnastique poétique, un effort intellectuel, plus près des arts visuels que du cinéma hollywoodien. Cette forme de narrativité est la contrepartie logique de la dérive qui guide la cueillette de matériau. Le surréalisme inspiré de Buñuel et le montage associatif conceptualisé par Eisenstein, avec leur mélange d’improvisation, d’écriture automatique et d’intellectualisation métaphorique des associations d’images et de sons, permettent une compréhension, une interprétation différente de la réalité. Les rapports de sens organisés par un montage en association, opposition et contraste entre le son et les images, comme dans la poésie, réinventent un rapport au monde révélateur de l’être humain dans son intimité la plus profonde.
Partage
Le résultat de cette démarche peut prendre plusieurs formes, que ce soit un court-métrage, une installation, un projet web ou encore tout simplement, une animation gif.
Mes réalisations de courts-métrages s’inscrivent dans un cinéma expérimental, d’art et d’essai : je suis une chercheuse d’images, un découvreuse de sons, une exploratrice du cinéma et des arts médiatiques, à ma façon intime et éclectique. Le format du court, avec une durée entre 3 et 10 minutes, est optimal pour ce genre de film. Comme pour un poème structuré tel qu’un sonnet ou un haïku, la forme vient augmenter l’impact de l’œuvre, tout en posant un défi de style qui commande des choix concis et précis.
L’installation est une mise en scène qui permet au spectateur de s’inscrire dans l’univers sonore et visuel que je compose. À l’aide d’un dispositif plus ou moins révélé, la présence du spectateur déclenche et influence les projections photos, audios ou vidéos. Le spectateur devient acteur principal, héros d’une aventure esthétique et poétique : il n’en tient qu’à lui de le découvrir et de l’explorer. Il devient maître du temps et de la complexité de l’œuvre : plus il s’implique, plus toutes les couches de sens lui sont révélées. Démiurge, je contrôle les paramètres et le parcours, révélant au compte–goutte les images et les sons que j’ai composés.
Le projet web me permet de m’inscrire dans une exploration actuelle des possibles moyens de rejoindre un public élargi, de susciter la participation et d’explorer une forme de documentation du réel alternative.
L’animation gif, que j’aborde comme un cinéma d’animation en boucle, du stop motion d’instants fragmentaires, muet qui plus est, est le contrepoids libérateur des installations vidéo électroniques, à la structure plus complexe, et au courts–métrage, à la structure de financement plus importante, et au travail d’équipe nécessaire. Le gif me donne le moyen d’exercer mon métier, de chercher l’image, le moment, le cadre. La déambulation, l’exploration et l’essai y prennent leur sens, dans de petites perles infinies, qui font sourire, émeuvent, fascinent ou rendent nostalgiques. Émotion unique, temps poétique, passerelle entre la photo et le cinéma : ces boucles brèves fonctionnent à la manière de mandalas méditatifs, œuvres à part entières malgré leur simplicité apparente. Illusion de 3e dimension, jeu avec le temps… Le gif animé évoque les flipbooks du début du cinéma, mais aussi la culture web avide de fragments racontés en 6 secondes.
kwai!
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une excellente journée !
Daniel
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